gazette-geneve

Peut-on laisser ses croyances de côté au travail?

Samedi 18 Février 2017

A Genève, la religion ou les croyances d’une personne doivent rester dans le cadre de la sphère privée. Pourtant, séparer religion et travail est le plus souvent une gageure, même au sein d’une société laïque. Enquête sur la place de la religion dans le milieu professionnel.


Dans un canton laïc comme Genève, la religion est souvent taboue dans le monde professionnel. Pour beaucoup, l’expression de celle-ci doit se restreindre au strict au cadre de la sphère privée, la laïcité dressant une sorte mur entre la spiritualité et l’institutionnel. Selon le projet de la loi sur la laïcité de 2012, l’administration cantonale, le pouvoir judiciaire les établissements publics médicaux, et les établissements publics ou privés exécutant des tâches déléguées par l’Etat, doivent observer une neutralité religieuse dans le cadre de leurs fonctions. Lorsqu’ils sont en contact avec le public, ils doivent s'abstenir de signaler leur appartenance religieuse. En outre, et bien que le clivage soit moins stricte pour les salariés qui n’ont pas de lien avec le public, la religion est rarement invitée à venir interférer dans le travail.

Bien que la volonté d’instaurer une séparation entre religion et travail soit de plus en plus présente, cela reste pourtant toujours un défi pour les entreprises ou les institutions. Pour bon nombre de personnes, la religion ou la spiritualité sont une manière d’être et de vivre, indissociable de leur activité professionnelle. Est-il donc réellement possible de laisser ses croyances sur le pas de la porte lorsque l’on part travailler chaque matin ?

La spiritualité dans le travail social

C’est une problématique sur laquelle se sont penchés 18 étudiants en Bachelor à la HETS (Haute école de travail social). Dans le cadre de cette recherche, ceux-ci se sont intéressés à la définition de la spiritualité, des religions, et de la laïcité dans le cadre du travail social. « Les croyances d’une personne font parties intégrante de son identité », souligne Nicolas Cuennet, porte-parole du comité des étudiants. Selon lui, il est impossible de mettre de côté la spiritualité d’une personne dans le travail social, autant du côté du bénéficiaire que du travailleur. « Dans ce contexte, la spiritualité doit être considérée comme une ressource et non comme un obstacle », ajoute-il.

Pourtant il arrive que la religion soit perçue comme un obstacle dans le monde professionnel. Nicolas Cuennet illustre ceci par l’exemple d’une étudiante à la HETS s’étant fait refuser un poste comme éducatrice sociale en raison de son appartenance à une communauté évangélique. Un événement qui a interpellé les étudiants de la HETS, et qui leur a montré la nécessité de se pencher sur cette problématique.
 
Définition de la laïcité à Genève
Le projet de loi sur la laïcité la définit ainsi : « La laïcité de l’Etat se définit comme le principe de neutralité de l’Etat dans les affaires religieuses, qui doit permettre de préserver la liberté de conscience et de croyance, de maintenir la paix religieuse et d'exclure toute discrimination fondée sur les convictions religieuses. Elle favorise la tolérance et le respect mutuel au sein de la société. »
 
Signes religieux visibles
A Genève, il n’existe actuellement pas de restriction sur les signes religieux extérieurs dans le milieu professionnel, excepté pour les fonctionnaires et les enseignants. Dans les établissements scolaires genevois, les signes religieux visibles – tels que le voile, la kippa ou la croix – sont tolérés chez les élèves mais pas chez les enseignants. Ces derniers se doivent d’observer une neutralité religieuse en tant que représentants de l’autorité. Idem pour les collaborateurs des institutions en partenariat direct ou indirect avec l’Etat.
Toutefois, le projet de loi sur la laïcité veut aller plus loin dans ces restrictions relatives aux signes religieux. Afin de prévenir des troubles graves sur l’espace public, le projet de loi veut accorder au Conseil d'Etat « le droit de restreindre ou interdire, pour une période limitée, le port de signes extérieurs manifestant une appartenance religieuse ». Ceci au sein des établissements publics ou subventionnés, ainsi que dans les établissements scolaires publics. Ce qui étend les restrictions sur les signes religieux visibles aux élèves ainsi qu’aux bénéficiaires des différents établissements concernés. Les Genevois seront amenés à se prononcer sur ce projet de loi début 2017.


 

« Une entreprise ne pourra jamais empêcher les gens de faire entendre leur religion »

La religion, un obstacle ou une ressource dans le milieu professionnel ? Roland J. Campiche, fondateur de l’Observatoire des religions en Suisse et professeur en sociologie des religions à l’université de Lausanne apporte son éclairage sur la place de la spiritualité dans la société et le travail. Interview.
 
Est-il possible de laisser sa religion ou ses croyances chez soi lorsque l’on part travailler ?
Une entreprise ne pourra jamais empêcher les gens de faire entendre leur religion. Il y a une constante interférence des croyances dans notre manière d’agir et de penser. Qu’on le veuille ou non. Et rares sont les gens qui vont au travail sans religion. Dans ma carrière, j’ai discuté avec beaucoup de politiciens. Souvent, ceux-ci me confiaient que leurs convictions politiques étaient directement influencées par leurs convictions religieuses. En effet, les convictions se nourrissent des valeurs, et les valeurs des croyances.

Doit-on considérer la spiritualité comme une ressource ou comme un obstacle ?
Comme une ressource ! La religion ou la spiritualité est et a toujours été une ressource pour les temps difficiles. Dans les entreprises, elle peut aussi générer des codes éthiques, comme par exemple les banques protestantes qui se revendiquent d’une déontologie rigoureuse. En ce qui concerne le vivre ensemble, l’entente est toujours possible si on met les choses sur la table afin que chacun puisse exprimer les motivations qui l’anime.

Les croyances d’une personne sont donc fortement liées à sa personnalité ?
Totalement. Les croyances font partie de notre sociabilité, même si nous ne sommes pas toujours conscients de ce qui nous constitue. Même une personne qui ne se revendique pas d’une appartenance religieuse au premier abord sera toujours sous l’influence de ses croyances.

Pourtant la société se veut de plus en plus laïque. Où placer la spiritualité dans ce contexte ?
Il y a certes eu une désinstitutionalisation de la religion ces dernières années. Mais la séparation de l’Eglise et l’Etat ne doit pas être confondue avec la non-croyance. Ce serait une erreur de penser que les gens ont moins de croyances qu’avant. Aujourd’hui, les gens ne veulent plus le « prêt à croire » des églises. Ils veulent exprimer ce en quoi ils croient, sans pour autant appartenir ou adhérer à une religion. Les gens croient tout autant qu’avant, juste différemment.

Et du côté de l’État ?
Même un état qui se revendique laïc est toujours soumis à une influence religieuse. Il ne peut jamais rester véritablement neutre. Surtout lorsqu’il doit prendre des décisions en lien avec les différentes institutions religieuses. Il sera toujours influencé par les normes qui le caractérisent. En effet, toute société ou institution a besoin de normes. Et les valeurs qui s’y rattachent sont obligatoirement fondées sur des croyances.

 

Conseiller avec l’aide de Dieu

Âgé de 27 ans, Marc* travaille dans une agence de planification financière en tant que conseiller. Chrétien depuis plusieurs années, sa spiritualité est pour lui une ressource fondamentale dans son travail. Témoignage.

Marc, vous travaillez dans cette entreprise depuis l’été 2016, considérez-vous votre spiritualité comme une ressource dans le cadre de votre travail ?
Clairement ! Lorsque j’ai besoin de me ressourcer, le Seigneur est la première source vers laquelle je me tourne. J’ai d’autres ressources dans ma vie, comme les gens et la musique, mais je place toujours cette source en premier. C’est un fondement pour moi et une manière de vivre. Dans mon travail, il m’arrive de prier pour mes collègues et pour mes clients si ceux-ci sont ouverts.

Avez-vous des exemples concrets à nous donner ?
Une fois, j’ai eu l’occasion de prier pour mon patron. Après un dîner de boîte, il s’est plaint de troubles de digestifs. Je lui ai proposé de prier pour lui, et il était très ouvert à ce que je le fasse. Le lendemain, ses maux de ventre avaient disparu. Une autre fois, c’est une cliente a prié pour moi. Elle avait appris que j’avais des problèmes au cerveau depuis quelques années. Après qu’elle ait prié pour moi, j’ai été guéri.

Vous êtes donc libre de l’exprimer dans votre travail ?
Oui, l’entreprise n’y voit rien de réprimandable. Mais je place moi-même des limites dans ce que je partage. La façon dont j’exprime ma spiritualité est comme une invitation. Je ne m’aventure que si les personnes sont réceptives. De plus, ma priorité est de bien faire mon travail. Je suis passionné par ce que je fais, et je souhaite honorer les responsabilités qu’on m’a confiées.

Vos croyances ont-elles un impact dans la manière dont vous conseillez les gens ?
Disons que les valeurs qui découlent de mes croyances influencent ma manière de conseiller les gens. Je pense toujours au commandement « Aime ton prochain comme toi-même ». J’essaie de conseiller les gens comme j’aimerais qu’on le fasse pour moi, le plus honnêtement possible. Je cherche à être une bonne influence pour mes clients, afin de les amener dans les changements dont ils ont besoins.

*Nom d’emprunt

Sophie Cusin


L’Ecole de Iournalisme et de Communication de Genève

Populaire


Vidéos
Actualité
24/01/2018
Etudiants
1 sur 8

Inscription à la newsletter

Partager ce site

Flux RSS


CONTACT

Ecole de journalisme - Genève


www.ecole-journalisme.ch