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«L’unilatéralisme, c’est de la désinformation»

Mardi 25 Mars 2014

Les campagnes de votations battent leur plein notamment sur les questions de l’immigration et de l’avortement. Mais d’aucuns l’auront remarqué : les arguments présentés dans les médias sont souvent les mêmes et sont rabâchés, pour certains, depuis novembre dernier. Dès lors, peut-on encore croire à l’impartialité des médias? Entretien avec Uli Windisch, sociologue en communication et médias sur la dérive médiatique.

Propos recueillis par Joëlle Misson

Pensez-vous que les médias sont impartiaux?

Vous rigolez? Indépendamment, des opinions personnelles et politiques de chacun, une chose est assez incroyable en Suisse: dans notre pays dit pluraliste et démocratique, nous possédons un service public «monopolistique». La radio romande n’a aucune concurrente : on ne voit cela dans aucun autre pays pluraliste. Les radios et télévisions suisses n’ont presque pas de concurrents créant peu de vrais débats et discussions. Je ne suis pas contre un service public, mais l’inadmissible, c’est que personne n’essaie de favoriser un pluralisme médiatique au niveau fédéral. Ceci est une anomalie importante en Suisse.

Qu’est-ce que cela engendre?

Les discussions vont tellement à sens unique, notamment sur des sujets un peu chauds comme l’immigration ou l’avortement, que cela crée un contre-effet à la propagande du Conseil Fédéral.

Donc, les médias pousseraient les citoyens à voter l’inverse des recommandations du Conseil Fédéral?

Absolument. Concernant les prochaines votations, si le Conseil Fédéral s’y était pris plus tard, passe encore. Mais la campagne bat son plein depuis des mois : les gens s’en rendent compte et cela leur déplait fortement. Ils suffit de discuter un peu pour réaliser qu’ils en ont marre d’entendre toujours les mêmes arguments.

Que reprochez-vous aux médias?

Je suis très favorable aux médias, mais il faut décortiquer et observer les proportions et la manière dont l’information est traitée. Dès le moment où une très grande majorité va dans le sens du «politiquement correct», cela ne va plus. Il suffit de suivre en détail les émissions et l’attitude qu’adoptent les journalistes selon qu’ils sont pour ou contre une votation. Ils ne le disent pas ouvertement, mais implicitement leurs opinions transparaissent toujours. Cela donne une très mauvaise image des médias.

Qu’est-ce que cela engendre?

Cela crée un fossé entre la population et les médias. Ces derniers, ainsi que la classe politique, exception faite d’un seul parti, sont toujours massivement pour ou contre une votation. Nous avons vu cela lors des dernières votations, la population a voté dans le sens inverse des recommandations (concernant la vignette autoroutière, ndlr). C’est le signe d’un décalage grave : le citoyen est conscient que les médias ne sont plus objectifs et cela ternit l‘image des médias au sein desquels la population ne se sent plus représentée.

Cela pousse-t-il les gens à se désintéresser de l’information?

Je ne pense pas. Les gens ont envie d’être informés mais cela n’empêche pas leur faculté critique de fonctionner. Les médias croient qu’ils sont pris à la lettre mais le spectateur moyen est assez critique et distant envers les médias: même sans être un intellectuel, il remarque immédiatement si on veut le mener en bateau.

Les médias faillissent-ils à leur rôle d’informateur objectif?

Etre objectifs, c’est ce qu’ils doivent faire. Mais cela n’empêche pas les prises de position et les éditoriaux! On ne va pas demander aux journalistes de se castrer pour ne présenter que du factuel et faire l’impasse sur toute prise de position ou analyse, car c’est un plaisir de lire des analyses différentes. Du moment que tout ne va pas dans le même sens. Les journalistes utilisent mal leur rôle, au point où ils finissent pas discréditer leur métier et les journaux disparaissent.

En fait, les journalistes font de la désinformation?

Actuellement, si l’on veut une vision exacte d’un sujet, il faut lire plusieurs journaux pour avoir différents regards, comparer pour s’approcher de la réalité. Je ne prétends pas que les journalistes sont des désinformateurs. Mais dès le moment où une information devient trop unilatérale, il y a désinformation car il y a un manque de diversité et un musèlement de la liberté d’expression.

Quelles sont les conséquences de cet «unilatéralisme»?

Les gens ont l’impression qu’on les prend pour des idiots et ils n’aiment pas cela. L’effet boomerang de l’unilatéralisme, c’est qu’aujourd’hui, beaucoup de gens s’informent presque uniquement sur internet, surtout les jeunes. Sur ce support, on constate un nombre grandissant de sites à succès car ils présentent les choses de manière beaucoup plus concrète et sans retenue. On y trouve plus de variétés d’opinion et de sujets que les médias n’aiment pas traiter. Les jeunes, comme tout le monde, ont un regard critique et en ont marre qu’on leur serve du prêt-à-penser. Ils réalisent le décalage entre les réalités auxquelles ils ont confrontés et ce qu’en font les médias.
 

Comment la presse doit-elle se remettre en question?

Le problème, c’est qu’une fois que les gens sont formatés dans un sens, ils sont déconnectés de la réalité. Je connais peu de journalistes qui se remettent en question pour vivre avec leur temps. Lorsqu’on constate des «échecs» tels que la population qui vote en sens opposé de la campagne massive des médias et du Conseil Fédéral, il faut se questionner. Le décalage entre les médias et le lectorat devrait amener le monde médiatique à se demander s’ils présentent une information complète, suffisante et diversifiée, adressée à une population capable de voter différemment que ce que dit le Conseil Fédéral.

Joëlle Misson


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