Mais pourquoi le football allemand est-il si mal-aimé ?

Vendredi 27 Aout 2021

L’équipe allemande de football est une des équipes les plus performantes au monde avec 4 Coupes du Monde et 3 championnats d’Europe au compteur. Son championnat, la Bundesliga comporte des grands clubs européens comme le Bayern Münich ou le Borussia Dortmund. Pourtant, l’Allemagne reste un des pays les moins aimés dans le milieu du football. Enquête sur un paradoxe.


Malgré son élimination précoce à l’Euro 2020, avec des performances moyennes, l’équipe nationale d’Allemagne reste une des meilleures au monde, avec de très nombreux titres, sans compter le palmarès du célèbre Bayern de Munich, un des plus grands clubs de la planète. Pourtant ce football allemand, mille fois capé, reste un des moins appréciés du football. Comment expliquer un tel paradoxe ?
« Thomas Müller est tout simplement moins attirant que David Beckham » résume Vincent Chaudel, du média l’Observatoire du sport business. Cette attractivité supposée de David Beckham n’est non pas synonyme de manque de charisme mais bien de style, plutôt austère chez nos amis allemands. Les footballeurs allemands sont très peu tatoués et il est rare de les voir changer de coupe de cheveux par exemple. Ce manque de fantaisie, Toni Kroos (milieu de terrain du Real Madrid et de l’équipe d’Allemagne) l’a également indirectement relevé il y a quelques temps en critiquant les célébrations de certains joueurs dans son podcast « Einfach mal Luppen » : « Les célébrations de buts comme celles de Griezmann imitant une danse de jeu vidéo sont ridicules. Je ne pense pas que ce soit un bon modèle non plus. Quelle absurdité ! » Des observations qui, d’après Julien Duez, spécialiste du football allemand, représentent bien la façon dont la Mannschaft joue : « Le cliché selon lequel les Allemands sont des charbonneurs sur le terrain n'est pas complètement dénué de sens et cela se vérifie à travers le jeu efficace qu’ils pratiquent, qui d’ailleurs va de pair avec l’éducation footballistique qu’ils reçoivent. Et pour reprendre un autre cliché, le style de jeu allemand est réputé pour aller directement à l’essentiel. » Et d’ajouter : « En Allemagne, la sobriété est souvent de mise et en ce sens, les joueurs allemands ne font pas énormément de frasques. On peut trouver ce manque de fantaisie peu attirant, mais à l’inverse, on peut aussi se délecter du pragmatisme qu’il dégage. »
Pour Sophie Serbini, journaliste et spécialiste du football allemand, cette austérité est très liée à la culture et au système de formation allemand : « En Allemagne, il n’y a pas de starification. Les joueurs doivent continuer leurs études jusqu’à l’âge de 19 ans et dans des écoles publiques. » Le dernier joueur ayant été traité comme une star dès son plus jeune âge est Mario Götze. Certes, il a offert à l’Allemagne sa 4ème étoile contre l’Argentine en 2014 mais depuis, il comptabilise les échecs au Bayern, à Dortmund et en sélection.
« Il y a une germanophobie en France »
Le manque d’enthousiasme du public pour le foot allemand pourrait aussi s’expliquer par l’image de ce pays à l’étranger. Malgré le fait qu’aujourd’hui l’Allemagne soit considérée comme la première puissance européenne, son passé historique laisse des traces. « Le passé de l’Allemagne avec la Seconde guerre mondiale, joue énormément sur son image. Et puis, le célèbre match France-Allemagne de 1982 n’a pas aidé (ndlr. En demi-finale de la Coupe du Monde 1982, le gardien allemand Schumacher blesse violemment Battiston à la tête. Le choc ne sera pas sanctionné et la France s’inclinera aux tirs aux buts). D’ailleurs, il n’y a pas qu’en France que la blessure du passé est encore ouverte : « Les Pays-Bas restent très peu aimables envers les Allemands » ajoute ainsi Sophie Serbini. Des propos appuyés par le vécu de Polo Breitner, chroniqueur pour RMC Sport: « J’ai déjà entendu des propos horribles sur les Allemands émis par des journalistes français. Les entraîneurs comme Guy Roux ou Roland Courbis restent très durs envers eux. Il y a très clairement une germanophobie en France et cela ne s’est pas amélioré avec le duel Schumacher-Battiston en 1982. » Dernière illustration : la Une du journal L’équipe du 16 juin 2021, suite à la victoire française sur la Mannschaft, titrée « Comme en 18 ». Un titre faisant référence à la dernière coupe du monde mais surtout à la Première guerre mondiale et qui a déclenché une sévère polémique.
Championnat auto centré
Et puis enfin, il y a le fait qu’en matière de football, les Allemands ne s’intéressent que très peu aux avis venant de l’extérieur. « L’Allemagne est un marché suffisant pour son championnat. C’est un pays très autocentré, les Allemands ne regardent que la Bundesliga. » explique Vincent Chaudel. Les joueurs allemands s’exportent également très peu et de ce fait intéressent moins les autres publics : « Il est rare de voir des joueurs quitter la Bundesliga. Thomas Müller ou Mats Hummels ont reçu des offres de grands clubs européens et pourtant ils ont préféré rester dans leur pays. Le contre-exemple est Toni Kroos qui a tout remporté avec le Real Madrid. » En outre, le système de formation allemand est très lié au style de jeu de la Bundesliga, et les joueurs qui quittent ce championnat ont du mal à s’adapter aux styles étrangers, ce qui par exemple explique les débuts compliqués de Kai Havertz, Timo Werner ou Robin Koch en Angleterre. 
Un championnat trop dominé par le Bayern
Autre point qui explique la faible attractivité du football germanique : l’écrasante domination du Bayern Munich qui nuit à l’intérêt du championnat à l’extérieur comme le souligne Julien Duez : « il s’agit probablement, en étant honnête, de la plus grosse limite à l’attrait de la Bundesliga. Aucun autre championnat majeur n’a subi une telle domination sur la dernière décennie. » Une domination qui tue le suspense du championnat et qui conduit le public à délaisser la Bundesliga.
Le nouvel intérêt des fans pour la Bundesliga
Reste qu’avec le temps, le football allemand commence à retrouver des fans hors de ses frontières, car la Bundesliga malgré le Bayern, se mue progressivement en championnat de plus en plus multiculturel, avec à la clé un jeu nettement plus débridé et séduisant. « Depuis 30 ans, l’intérêt pour la Bundesliga augmente constamment, explique le commentateur de Bein Sport Jean-Charles Sabattier, voix française de la Bundesliga. Et cela a certainement un lien avec le fait que ce championnat compte 15 joueurs Suisses et 30 français, et chaque public apprécie d’y voir évoluer les joueurs de son pays. »
Et ce n’est pas tout : la nouvelle génération des fans de football s’y intéresse de plus en plus, notamment pour son vivier de jeunes entraîneurs talentueux, ses stades magnifiques aux ambiances folles et son nombre impressionnant de buts. « En Allemagne, peu importe la division, les stades sont pleins et les ambiances sont absolument géniales » raconte Jean-Charles Sabattier. Sophie Serbini ajoute : « Il y a beaucoup de buts en là-bas. Les entraîneurs osent jouer offensif et nous restons sur trois Ligue des Champions remportées par des entraîneurs allemands. »
 

Un palmarès hors du commun




Jonathan Schmid : «Le football allemand est peu apprécié à cause de l’image de l’Allemagne »
Le football allemand est mal-aimé en Europe mais pour Jonathan Schmid, défenseur du SC Freiburg et joueur français le plus capé de l’histoire de la Bundesliga, cette a priori est une question d’image. 

A votre avis, pourquoi le football allemand est-il si mal aimé ?
C’est une bonne question ! Selon moi, cela doit avoir un lien avec l’image de l’Allemagne. Cependant, de plus en plus de spectateurs suivent la Bundesliga. Le jeu a évolué et aujourd’hui, il y a de très bons joueurs et entraîneurs.
 
La Bundesliga est-il trop autocentré pour intéresser le grand public ?
Comme je l’ai dit précédemment, le nombre de spectateurs évolue dans le bon sens. Mais si le championnat est autocentré au niveau de la tactique, beaucoup de jeunes entraîneurs arrivent avec de nouvelles idées.
 
Quelle image aviez-vous du football allemand avant de jouer en Bundesliga ? Cette image a-t-elle changé depuis que vous y jouez ?
 En étant jeune, j’avais l’image des joueurs allemands très physiques et à contrario les joueurs français très techniques. Depuis que je suis en Allemagne, j’ai remarqué que cela à évolué. De nos jours, de plus en plus de joueurs sont techniques et très athlétiques.
 
D’après plusieurs spécialistes du football allemand, la Bundesliga est un championnat sous-estimé. Quel est votre avis là-dessus ?
 Selon moi, la Bundesliga est le deuxième meilleur championnat après l’Angleterre. Il y a des stades remplis, des supporters fidèles et beaucoup de buts. Ce n’est pas un championnat fermé comme en France, par exemple.

 

Ethan Fasnacht